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Lettre ouverte à Monsieur Gazay
« Nous sommes tous dans le caniveau mais certains regardent les étoiles » nous avez vous dit, citant Oscar Wilde, lorsque nous étions venus tenter de vous rencontrer, vous et M. Deflesselles, en pleine lutte contre la réforme des retraites.
Les citations, vous avez dû en apprendre quelques-unes ce qui « fait bien » et possède l’immense avantage de vous éviter de répondre aux questions et donc de vous exprimer sur le fond. Une citation bien placée, un petit demi-tour et puis s’en va ; pas plus vous que Monsieur Deflesselles n’aviez jugé bon, à l’époque, de nous recevoir.
Ancienne AVS, licenciée après 6 ans de bons et loyaux services parce que votre gouvernement refuse de pérenniser ces postes, méprisant ce faisant, non seulement la compétence acquise mais également les enfants qu’ils ou elles accompagnent au quotidien, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger sur le sens de votre phrase.
Serait-ce à dire que moi, comme d’autres, sommes responsables de notre situation parce que nous n’avons pas visé assez haut ? Que ce faisant il serait normal que nous nous retrouvions sous-payés, en CDD ou au chômage ?
Serait-ce à dire que si toutes tranches d’âge et tous milieux confondus les femmes subissent plus fortement le chômage que les hommes c’est qu’elles n’ont pas dû viser les étoiles avec assez d’attention ? Leur faudrait-il devenir des hommes ?
Serait-ce à dire que si le taux de chômage chez les ouvriers est plus de trois fois supérieur à celui des cadres supérieurs, c’est qu’eux aussi n’ont pas visé assez « haut » ? Tous cadres ? Et plus personne pour construire vos voitures, réparer vos canalisations… Seraient-ils plus méprisables que les autres ? Vaudraient-ils moins ? Seraient-ils moins utiles à la société ?
Serait-ce à dire que si le chômage augmente de manière dramatique chez les jeunes, il en relèverait de leur responsabilité ? Et que si à un niveau de diplôme égal, à bac plus deux, selon l’Observatoire des inégalités, le chômage est de 13,2% chez les jeunes dans ce que l’on appelle les zones urbaines sensibles alors qu’il n’est que de 6% chez les autres, cela relèverait de la responsabilité de leurs parents ; plus ambitieux, ils auraient pu se loger ailleurs ?
Serait-ce à dire que tous ceux qui dorment dans la rue, ceux, chômeurs de plus de 50 ans et autres que je côtoie, moi, régulièrement, et à qui il ne reste qu’environ 400 euros pour vivre n’ont que ce qu’ils méritent ?
Serait-ce à dire qu’il est normal qu’Unilever licencie environ 180 ouvriers à Gémenos tout en engrangeant des milliards de bénéfices ?
Le tout pendant, entre autres et comme exemple, que M. Yves Thibault de Silguy, ex commissaire européen, ait perçu en 4 ans, 6,5 millions de salaire et de bonus comme président de Vinci (plus les 1,3 million, ne l’oublions pas, d’actions gratuites et de stock- options). Que ce Monsieur a décidé, aujourd’hui, à 62 ans, de prendre sa retraite et qu’il lui est assuré de percevoir une pension annuelle de 380 000 euros pour laquelle Vinci lui a provisionné 6,9 millions d’euros. Rajoutons qu’histoire, sûrement, de ne pas se sentir inutile, il restera consultant au sein de sa société, ce qui lui permettra d’empocher, à peu près, et à nouveau, 380.000 euros par an ! (Se reporter à l’article paru dans l’Humanité Dimanche du 14/04/11) Encore un petit effort et il sera susceptible de se financer un voyage dans l’espace, histoire d’aller voir les étoiles de plus près ! Est-ce que M. de Silguy, vaut tellement mieux que nous ? Est-il tellement plus utile à la société que cela justifierait un tel écart de revenus ? A-t-il besoin de tout cela pour vivre ?
Oui, Monsieur Gazay, je regarde les étoiles mais apparemment pas de la même manière que vous. Et je vous rétorquerai par cette autre citation, comme le chantait Noir Désir : « On peut regarder des idéaux sans s’éloigner d’en bas ». La question étant juste « quels idéaux » ? Et les vôtres ne semblent pas être identiques aux miens.
Véronique CHIARA